11
Les premiers quartiers qu’on affecta à Boba Fett avaient des murs ornés de tapisseries en soie et un sol incrusté de métaux précieux.
— Ça ne me convient pas, dit-il froidement.
Il persuada le majordome, un Twi’lek dégoulinant d’obséquiosité, de lui donner un appartement plus dépouillé. Il ne lui fallut pas déployer beaucoup d’effort pour le convaincre…
— J’espère que cette résidence sera plus à votre goût, dit le majordome, un certain de Ob Fortuna.
Ses tentacules luisaient de transpiration nerveuse. Il ressemblait à un de ses lointains parents, que Fett avait aperçu dans l’entourage de Jabba le Hutt.
La petite pièce avait été creusée à même le roc du planétoïde. Elle était assez froide pour que la respiration s’y condensât.
— S’il y a autre chose pour votre service…
— Ça ira. Laissez-moi seul, je vous prie.
— Bien entendu, dit le majordome. Je reste aux ordres de votre Supériorité.
— Parfait. Faites-le à distance. C’est la seule chose que je vous demande pour l’instant.
Boba Fett ferma la porte d’un coup de pied. Il entendit les pas du majordome s’éloigner dans le couloir. Le seul bruit fut bientôt celui d’un robinet gouttant dans un coin de la pièce. Un insecte du cru, une version miniature du membre du conseil qui s’exprimait uniquement en posant des questions, approcha du chasseur de primes, attiré par la chaleur d’un corps humanoïde. Il tenta de s’échapper quand Fett tendit la main vers lui et l’écrasa d’un poing ganté.
La vermine ne le dérangeait pas. Il avait vécu dans des lieux pires que celui-ci.
Cette pièce avait un avantage : il ne serait pas difficile d’éliminer les micros et les caméras espions éventuels. Fett n’avait pas même eu besoin de scanner la première pièce où le Twi’lek l’avait conduit pour s’apercevoir que les murs en étaient truffés. La cérémonie d’accueil de Cradossk et sa prétendue ivresse ne lui avaient pas donné le change. Ils savent que quelque chose se trame, pensa Boba Fett.
La Guilde des Chasseurs de Primes était autrefois une organisation plus coriace. Cradossk ne s’était pas hissé à sa tête en se comportant comme un idiot accompli.
Et Fett n’avait pas survécu si longtemps en étant un imbécile. Cradossk s’attendait certainement à ce qu’il refuse l’appartement luxueux. Il avait préparé d’autres quartiers, dont les installations répondraient à ses besoins…
Boba Fett activa les scanners intégrés à son casque. Une grille de calibrage apparut dans son étroite visière.
Comme il s’y attendait, une étincelle clignota au milieu de la grille, indiquant la présence d’un module espion miniature. Fett termina de scanner la pièce. Il y avait deux autres modules dissimulés sur les murs. Il lui aurait été facile de les extirper de leurs niches et de les détruire, comme l’insecte. Mais il sortit de ses poches trois drones audios, réglés pour reproduire le bruit de sa respiration et d’autres fonctions homéostatiques. Il plaça un drone au-dessus de chaque module. Aucun autre son ne parviendrait aux dispositifs d’espionnage. Ils les éteindraient en quittant la pièce…
Il ne pensait pas passer beaucoup de temps dans ses quartiers. Mais il voulait que Cradossk dévoile son jeu, ce qu’il avait fait. Fett avait prévu de prendre ses repas et de dormir à bord de l’Esclave I, posé à l’extrémité du complexe principal de la Guilde.
J’ai suffisamment d’ennemis ici, songea-t-il.
Il n’aurait rimé à rien de leur donner une occasion de le surprendre…
Mais s’ils voulaient parler avec lui en tête-à-tête, cette petite pièce froide et humide suffirait…
Comme il l’avait prévu, son attente ne fut pas très longue. On frappa bientôt à sa porte, puis les charnières rouillées fixées dans la pierre grincèrent quand une main écailleuse poussa la porte.
— Nous allons donc devenir frères, dit Bossk, ses yeux à fente verticale débordant de ressentiment et de fourberie. Quel plaisir ce sera ! Pour moi comme pour vous…
Boba Fett jeta un coup d’œil au jeune Trandoshéen.
— Peu m’importe. Je tire mon plaisir de mon travail. Et d’être payé pour le faire…
— C’est bien connu, dit Bossk.
Il entra et se laissa tomber lourdement sur un banc creusé dans le mur.
— Je ferais la même chose… Si vous n’étiez pas en travers de mon chemin.
— Vous parlez du passé. Avez-vous déjà oublié les paroles de votre père ? Une ère nouvelle a commencé pour nous tous…
— Mon père ! (Bossk secoua la tête, l’air écœuré et s’appuya contre le mur.) Il prononce de grandes et nobles paroles, comme toujours. Voilà une des raisons de mon mépris pour lui ! Le jour viendra où je me ferai les dents sur ses os !
— Les querelles de famille n’ont pas d’intérêt pour moi, dit Boba Fett, haussant les épaules. Faites ce que vous voudrez, si vous vous en pensez capable.
Vu leurs mœurs, il n’était pas étonnant que les Trandoshéens soient si peu nombreux…
Un grondement sourd sortit de la gorge de Bossk. Il se pencha en avant.
— Un jour… Quand je serai le chef de la Guilde… dit-il, les yeux perdus dans le vague.
Imbécile, pensa Boba Fett.
Le Trandoshéen n’avait aucune idée de l’engrenage où il était pris, et de l’avenir qui l’attendait, bien différent de celui qu’il imaginait.
— Mais vous êtes là pour la même raison, n’est-ce pas ?
Il saisit une petite boîte attachée à une de ses sangles de poitrine, l’ouvrit et en tira une créature gigotante.
Tendant la boîte à Boba Fett, il demanda :
— Vous en voulez un ?
Fett secoua la tête. La créature était identique à l’insecte qu’il avait écrasé.
— De quoi parlez-vous ?
— N’essayez pas de me faire prendre des vessies pour des lanternes ! Vous pouvez peut-être tromper un vieux reptile comme mon père, mais ça ne marchera pas avec moi. Je sais exactement pourquoi vous êtes là.
— Et ce serait… ?
— Simple, dit Bossk, écrasant la carapace de l’insecte entre ses crocs. Vous savez que Cradossk est vieux. Vous l’avez affronté bien avant mon éclosion. Son temps sera révolu un jour ou l’autre. À ce moment, j’hériterai de la direction de la Guilde. Cela a déjà été décidé. Les autres membres du conseil ne sont pas plus jeunes que mon père. Ils seront ravis que je prenne les rênes.
— Vous avez peut-être raison, dit Fett.
Il avait entendu mentionner plusieurs noms. D’autres chasseurs de primes de la Guilde étaient aussi jeunes et affamés de gloire que Bossk. La passation de pouvoir ne se ferait pas sans heurts.
— Bien entendu, j’ai raison, dit Bossk. Votre présence ici le prouve.
— Comment ça ?
— Voyons, nous avons tous les deux bourlingué pas mal dans la galaxie. Je n’ai peut-être pas autant d’expérience que vous, mais j’apprends vite. (Bossk sourit méchamment.) Il y a beaucoup de crédits à gagner dans notre profession. Bien plus que Cradossk et ses sbires racornis ne l’imaginent. Vous le savez, n’est-ce pas ?
Fett ne se donna pas la peine de répondre à la question.
— Je suis toujours prêt à accepter une mission lucrative.
— Ce qui fait de vous le genre de barjot que j’apprécie, dit Bossk avec un sourire de prédateur. Mon père a raison sur un point : vous et moi, nous sommes vraiment comme des frères. Nous devrions nous entendre, considérant les changements qui se produiront bientôt. Il faut apprendre à évoluer avec son temps, comme vous dites. Il suffit de nous assurer que l’évolution suit le cours que nous aurons décidé.
L’assembleur savait de quoi il parlait, pensa Boba Fett.
Il devait reconnaître que l’arachnoïde ne s’était pas trompé en estimant le tour que prendraient les événements au sein de la Guilde. Fett était à peine arrivé que les éléments du puzzle se mettaient en place. Le fils du chef de la Guilde se portait volontaire à sa place pour réaliser le plan qui aboutirait à la destruction de l’organisation.
— Vous êtes intelligent, dit Boba Fett.
— Assez pour avoir compris quel est votre jeu. Vous êtes connu pour beaucoup de choses. L’une d’elles est que vous travaillez toujours seul. Vous n’avez jamais pris de partenaire, même pour les missions les plus difficiles.
— Je n’en ai jamais eu besoin. Je peux me débrouiller sans ça.
— Oui. Et ça n’a pas changé ! Comme je vous l’ai dit, vous ne me donnez pas le change. Toutes ces belles paroles dans la salle du banquet, expliquant comment l’Empire nous persécutait… Ça n’était que de la crotte de nerf. La seule raison pour laquelle mon père et les autres membres du conseil vous ont cru est qu’ils avaient envie que ça soit vrai. Ils sont vieux et fatigués et ils cherchent un prétexte pour abandonner la partie. Mais je ne suis pas si bête ! Les choses ne changent pas comme ça. Je connais assez l’Empire pour savoir qu’il aura toujours besoin de chasseurs de primes pour le sale travail.
— Bien observé, dit Fett.
— Vous l’avez remarqué aussi, je parie. Il y aura encore plus d’ouvrage pour nous sous le règne de Palpatine qu’à l’époque de la République. L’Empereur voudra mettre la main sur toutes sortes de créatures qui souhaiteraient rester cachées. Et la Rébellion aura également ses propres besoins. Voilà un des avantages de n’être ni d’un côté ni de l’autre. Nous pouvons vendre nos services au plus offrant. Et nous ne manquerons pas de clients !
Ce Trandoshéen était loin d’être bête, reconnut Fett. C’était peut-être un imbécile assoiffé de sang, mais assez futé pour avoir compris une chose essentielle sur la nature du Mal. Celui-ci avait tendance à se reproduire comme par enchantement…
Plus de travail pour nous…, songea Fett.
Cela n’éveillait en lui aucune émotion particulière.
— Il s’agit donc simplement de nous assurer d’être payés au tarif que nous souhaitons ?
— Vous avez raison. Et voilà la justification de votre demande d’admission au sein de la Guilde. Pas parce que les choses changent dans la galaxie, mais parce qu’elles changent, ou sont sur le point de le faire, à l’intérieur de la Guilde. Vous vous l’êtes coulée douce pendant longtemps, Fett. Même quand les crocs de mon père étaient encore pointus, il n’a jamais été votre égal dans la profession. Ni lui, ni aucun des autres conseillers. En vieillissant, ça ne s’est pas arrangé. Tout ce qu’ils ont fait, c’est de se mettre en travers du chemin des membres plus jeunes, comme moi. Ceux qui auraient pu vous obliger à transpirer pour gagner vos crédits. Vous avez eu le champ libre tout ce temps. Ça devait être bien agréable…
Fett haussa les épaules.
— Les choses n’étaient pas aussi roses que vous le croyez…
— Certes, mais ça aurait été plus difficile encore si vous m’aviez eu dans les pattes ! Si j’avais pu vous affronter, vous n’auriez pas ramassé tous les crédits que des gens comme Jabba et les autres Hutts proposent. Si vous aviez eu des concurrents sérieux…
— Exact, dit Fett. Si j’avais eu des concurrents compétents, les choses auraient pu être différentes.
Bossk ne releva pas l’ironie sous-jacente de la remarque.
— Tout ça se termine, n’est-ce pas ? Voilà la vraie raison de votre présence. Vous savez que mon père et les membres du conseil sont finis. Et que quelqu’un d’autre les remplacera. Quelqu’un de bien plus dur et impitoyable qu’eux, qui ne vous laissera pas récupérer toutes les missions grassement payées.
— Ce quelqu’un, c’est vous, j’imagine ? lâcha Fett.
— Inutile d’imaginer quoi que ce soit à mon sujet, Fett ! Le moment est venu de conclure un accord, vous et moi. Vous n’êtes pas là simplement pour devenir membre de la Guilde des Chasseurs de Primes. Vous savez que je serai bientôt le chef de l’organisation. Je comprends comment votre esprit fonctionne.
— Vraiment ?
Bossk hocha la tête.
— Il ressemble beaucoup au mien. Nous voulons les mêmes choses. Les meilleurs honoraires, et personne en travers de notre chemin. Pour ça, nous devons trouver un accord d’égal à égal.
Espèce d’imbécile…
— Les négociations entre égaux sont parfois profitables. Et parfois mortelles.
— Faisons de celle-ci une des plus profitables. Voilà ma proposition, Fett. Il est inutile de nous affronter, même si ça pourrait être amusant. Ça aiderait seulement les vieux débris comme mon père à rester plus longtemps au pouvoir. Ils ont eu leur chance assez longtemps. Je n’ai pas envie d’attendre mon tour pendant des lustres.
— Que souhaitez-vous que je fasse à ce sujet ?
— Il ne s’agit pas seulement de ce que je veux, mais aussi de ce que vous souhaitez. Il vaut mieux vous mettre de mon côté tout de suite que m’avoir plus tard comme ennemi. Devenons partenaires, vous et moi. Je sais que c’est la raison de votre venue.
— Je ne me suis pas trompé quand j’ai dit que vous étiez intelligent.
Mais pas tout à fait assez…
— Vous me flatterez une autre fois. Quand nous aurons pris la tête de la Guilde et que je découperai la carcasse de mon père, je vous garderai un des morceaux les plus fins.
— Inutile, dit Fett. Je serai satisfait de savoir que j’aurai accompli ma mission.
Restait à voir si Bossk serait aussi content…
— Je suis heureux que nous soyons tombés d’accord sur ce point, dit Bossk. (Il se leva.) Dans le cas contraire, j’aurais été contraint de vous tuer.
— Peut-être. Mais vous avez eu de la chance. Regardez par là.
Les yeux à pupille verticale de Bossk s’écarquillèrent quand il suivit le regard de Fett et vit le blaster pointé sur son abdomen. Le pouce du chasseur de primes reposait sur la gâchette de l’arme.
— Clarifions un point, dit Boba Fett d’une voix calme. Nous pouvons être partenaires, mais nous ne serons pas amis. Je n’ai nul besoin d’amis.
Bossk eut du mal à détacher ses yeux de l’arme. Puis il leva la tête et lâcha un rire ressemblant à un aboiement.
— Parfait ! Voilà qui me convient. Vous protégez vos arrières, et je protège les miens. C’est exactement comme ça que je vois les choses.
— Bien. (Fett remit son blaster au fourreau.) Nous pouvons nous entendre.
Bossk se dirigea vers le couloir, jetant un dernier regard à Fett.
— Bien entendu, tout ça reste entre nous, n’est-ce pas ?
— Bien entendu, acquiesça Fett. Ça marchera mieux de cette façon.
Pour moi, songea le chasseur de primes. Pour vous, c’est une autre question…
Le majordome twi’lek remplissait aussi d’autres fonctions.
Celle d’espion, par exemple. Ob Fortuna épiait toutes les allées et venues dans les quartiers généraux de la Guilde.
— Votre fils vient d’avoir une longue conversation avec Boba Fett. D’après ce que j’ai entendu, Bossk semblait content du résultat.
— Ça ne m’étonne pas. Il tient son éloquence de moi. Il est habile à persuader les gens…
Le vieux reptiloïde se débarrassa de sa tunique de cérémonie tachée de vin.
— Le sujet de leur conversation ne vous inquiète-t-il pas ? demanda le Twi’lek, ses tentacules crâniens ondulant pendant qu’il ramassait les vêtements. Votre fils a… disons, une tendance à la conspiration…
— Bien entendu ! Sinon ce ne serait pas mon fils.
Cradossk s’assit au bord de son lit à baldaquin et étendit les jambes. Ses griffes le faisaient souffrir car il avait dû rester longtemps debout pendant la cérémonie d’accueil du célèbre Boba Fett.
— Je ne souhaite pas qu’il prenne la tête de la Guilde uniquement parce qu’il est un tueur doué.
Le Twi’lek s’agenouilla pour défaire les lanières qui ornaient les pieds griffus de Cradossk.
— Je pense que votre fils est un peu trop pressé de prendre le commandement. Impatient, même…
— Très bien. Ça le gardera en alerte. Je sais ce qu’il veut. Ce que je souhaitais à son âge : du sang dégoulinant de ses crocs et une bonne pile de crédits.
— Tout de même, il vaudrait peut-être mieux que vous soyiez prudent…
— Plutôt rusé, tu veux dire ! Je n’ai nulle intention de finir dans l’assiette de mon rejeton. Voilà pourquoi je suis de son côté dans cette affaire.
— Je ne comprends pas.
— Pas étonnant. Tu n’es pas assez sournois. Seul un Trandoshéen peut comprendre ce genre de subtilité. Nous naissons avec. Me crois-tu assez idiot pour laisser Boba Fett s’introduire ici et devenir un membre de la Guilde ? En prenant tout ce qu’il dit pour argent comptant ?
Cradossk ne craignait pas de révéler ses pensées à son majordome. Les Twi’leks étaient trop peureux pour agir, quoi qu’ils entendent.
— Ce type est une crapule. Je ne lui en veux pas pour autant, mais il n’est pas des nôtres. Il s’occupe toujours de lui, et de lui seul. Pourquoi pas ? En attendant, ses beaux discours ne me donnent pas le change. S’il a été convaincu par mes radotages sur la fraternité entre chasseurs de primes, je serai vraiment déçu ! Voilà pourquoi j’ai envoyé mon fils parler avec lui. C’est une tête brûlée, je ne le nie pas. Là aussi, il me ressemble. Mais il est assez intelligent pour exécuter un bon plan.
— Vous l’avez envoyé parler à Fett ? fit le Twi’lek, sidéré.
— Pourquoi pas ? J’ai aussi indiqué à Bossk ce qu’il devait proposer ? Rien que Boba Fett n’attende pas de la part d’un héritier : un partenariat entre eux. Contre moi.
— Contre vous ?
— Bien entendu ! Si je n’avais pas demandé à Bossk de parler à Fett, et que celui-ci lui ait proposé le même marché, il aurait accepté de sa propre initiative. C’est beaucoup mieux ainsi. Comme ça, nous avons nos entrées auprès de notre mystérieux visiteur. Quelqu’un à qui Boba Fett confiera les vraies raisons de sa venue. Mon fils se fera bien voir de son père et d’autres membres du conseil que son ambition inquiète. Et je continuerai de contrôler la situation. C’est le point le plus important.
Le Twi’lek semblait toujours plongé dans l’étonnement. Il enroula les lanières ornementales de son maître et les rangea dans une boîte.
— Avez-vous envisagé la possibilité que vous fils ait en tête une idée différente ?
Cradossk croisa ses mains griffues sur sa poitrine.
— Par exemple ?
— Bossk ne veut peut-être pas seulement faire semblant de conspirer contre vous avec Boba Fett… Peut-être lui aurait-il fait cette proposition de sa propre volonté si vous ne le lui aviez pas ordonné.
— C’est intéressant…, dit Cradossk en regardant son majordome dans les yeux. As-tu réalisé ce que tu suggères ? Une telle chose pourrait te coûter la vie.
Le sourire du Twi’lek se fit nerveux.
— En y réfléchissant à deux fois…
— Tu aurais mieux fait d’y penser avant d’ouvrir la bouche, dit Cradossk, furieux.
La seule raison qui l’empêcha d’arracher la tête du Twi’lek fut que les bons majordomes se faisaient rares.
— Tu mets en doute l’intelligence de mon fils et sa loyauté envers moi. Je sais que les membres de ton espèce n’ont qu’une vague notion de ce concept. Mais pour un Trandoshéen… (Cradossk se martela la poitrine.) … C’est une chose que nous avons dans le sang. L’honneur et la loyauté, la confiance que nous faisons aux membres de notre famille. Ce ne sont pas des sujets à prendre à la légère !
— Je vous supplie de me pardonner… Je ne voulais pas vous offenser, gémit le Twi’lek, faisant une série de génuflexions devant Cradossk.
Le vieux Trandoshéen eut un signe méprisant de la main.
— Puisque tu es un idiot, je veux bien pardonner tes commentaires insultants. Maintenant, file d’ici avant que je décide que j’ai encore faim !
Il n’oublierait pas les paroles du Twi’lek. La rancune était un autre des traits de caractère propres aux Trandoshéens.
Je devrais peut-être le manger, après tout…, songea Cradossk, regardant son majordome sortir à la hâte.
Il s’enveloppa dans une robe de chambre fabriquée avec les peaux de plusieurs anciens employés. Il devenait de plus en plus difficile de trouver de bons éléments. Peu de créatures pensantes étaient assez désespérées pour chercher un emploi où la possibilité de finir dans l’estomac de son employeur faisait partie du contrat. Cradossk se demanda si l’influence grandissante de l’Empire améliorerait les choses. Le quotient de misère de la galaxie augmenterait. Une excellent chose, du point de vue de Cradossk. Mais le contrôle de Palpatine sur ses « sujets » deviendrait plus étroit. Ça n’était peut-être pas un bon point…
Sentant le poids de l’âge, Cradossk se leva et se rendit dans l’ossuaire situé à côté de son salon. Il alluma une chandelle. Une lumière vacillante révéla les murs et les niches où luisaient les ossements.
Il y avait longtemps qu’il n’avait pas ajouté un souvenir à sa collection. Mon carrière de tueur est terminée, songea-t-il, non sans regrets.
Il avança dans la pièce, jusqu’à ce qu’il arrive à la niche la plus lointaine, contenant les os les plus petits et les plus anciens. Ils ressemblaient à des restes d’oiselets. Il y avait de petites traces de dents sur les os : les siennes, peu après sa sortie de la poche à œufs de sa mère. Les petits squelettes étaient ceux de ses frères, éclos quelques instants après lui.
Trop tard pour eux…
Cradossk soupira. Il reposa les restes de ses frères dans la niche creusée dans le roc.
Voilà pourquoi des êtres inférieurs comme ce serviteur twi’lek ne pouvaient pas comprendre le sens de la famille et de la loyauté des Trandoshéens.
Il eut une pensée presque apitoyée pour ces créatures.
Elles n’avaient aucun sens de la tradition.
Le Twi’lek entrouvrit la porte du salon pour voir ce que faisait le vieux Trandoshéen.
Il était entré dans son « mémorial ». Parfait, pensa le Twi’lek. Son patron y resterait probablement quelques heures. Souvent, il finissait par s’y endormir, un fémur craquelé entre les griffes.
Ça lui laissait assez de temps. Sans un bruit, le Twi’lek ferma la porte et se dirigea vers une autre partie du complexe de la Guilde.
Les appartements de Bossk.
— Très bien, dit le jeune Trandoshéen quand Fortuna eût terminé son rapport. Vous en êtes sûr ?
— Bien entendu, fit le Twi’lek avec un sourire mauvais. Je suis au service de votre père depuis plus longtemps qu’aucun de mes prédécesseurs, parce que je comprends sa façon de penser. Je peux lire à livre ouvert dans l’esprit de ce vieil imbécile. Et je vous affirme qu’il a une totale confiance en vous. Il m’a dit que c’était pour ça qu’il vous avait envoyé parler à Boba Fett.
Bossk hocha la tête.
— Je suppose que mon père vous a tenu tout un discours sur la loyauté et l’honneur…
— Les bêtises habituelles, confirma le Twi’lek.
— La partie la plus difficile de votre travail… dit Bossk. Écouter parler des imbéciles…
Vous ne croyez pas si bien dire, songea le Twi’lek.
— J’en ai pris l’habitude.
— Bientôt, vous n’aurez plus besoin de supporter ce vieil idiot ! Quand je dirigerai la Guilde des Chasseurs de Primes, les choses seront différentes.
Le Twi’lek prit garde de ne pas révéler ses véritables sentiments sur la question.
— Je n’en doute pas. En attendant…
— En attendant, il y aura un petit transfert de crédits sur votre compte, pour services rendus. Vous avez bien travaillé. (Bossk leva une main griffue.) Vous pouvez partir.
Cet abruti a raison sur un point. Je fais du bon boulot…, songea le Twi’lek en repartant vers ses quartiers. Pour mon propre compte…
Boba Fett entendit le grincement de la porte. Il lui fallut un effort de volonté pour ne pas se retourner. Nombre de chasseurs de primes avaient perdu la vie d’un coup de blaster dans le dos…
— Excusez-moi, fit une voix timide.
Voilà pourquoi il n’avait pas fait face à l’intrus : pour lui laisser l’avantage psychologique. Certains membres de la Guilde semblaient quelque peu démunis dans le domaine du courage. Fett se demandait pourquoi ils avaient embrassé cette profession…
— Oui ? Que voulez-vous ? demanda-t-il en pivotant, l’air le moins menaçant possible pour quelqu’un de sa réputation.
Un petit chasseur de primes aux yeux insectoïdes et bardé de tubes respiratoires se tenait sur le seuil.
— J’aurais aimé échanger quelques mots avec vous, si vous me le permettez…
Comment s’appelait-il ? Zuckuss, le partenaire de Bossk, se souvint Boba Fett. Au moins jusqu’à l’affaire Nil Posondum.
— Bien sûr, si vous êtes occupé, je peux revenir une autre fois…, continua la créature d’un ton nerveux.
— Non, dit Fett. Autant parler tout de suite si c’est important.
Ça ne fut pas long. Zuckuss resta à peine quelques minutes avant de partir en rasant les murs, de peur d’être vu par quelqu’un de la Guilde.
Ce n’était pas un des personnages majeurs de la Guilde, mais il était important tout de même : il avait l’oreille de Bossk.
Qui, en sa qualité d’héritier de la Guilde, serait l’agent principal de son démantèlement.
La conversation s’était déroulée exactement comme Fett s’y attendait et comme Kud’ar Mub’at l’aurait prévu. Zuckuss ressemblait à nombre de ses collègues de la Guilde : un mélange de cupidité et de naïveté.
Assez intelligent pour tuer, mais pas suffisamment pour éviter de se faire descendre…, estima Fett.
S’il avait de la chance, Zuckuss survivrait à la chute de la Guilde, mais il finirait par se faire avoir…
C’était la grande différence entre la plupart des membres de la Guilde et lui. Boba Fett s’assit sur le banc de pierre. Les armes qu’il portait l’empêchaient de s’adosser au mur, mais il n’y prêtait plus attention. Elles faisaient autant partie de lui que sa colonne vertébrale. Il ne perdait pas de temps à réfléchir à sa personne. Mais la vraie raison de sa survie était ailleurs :
il connaissait le seul véritable secret de la profession de chasseur de primes…
Il était entraîné à éviter de se faire tuer, et cela lui avait réussi jusqu’à présent. Pour le reste, il suffisait de s’équiper d’un armement d’excellente qualité.
Boba Fett se leva. S’il restait dans ses quartiers, d’autres enquiquineurs voudraient lui parler. Outre Bossk et Zuckuss, un des conseillers de la Guilde était déjà passé, ainsi que le majordome twi’lek, revenu pour un entretien plus long que le premier. Tous étaient prêts à l’aider à démantibuler la Guilde afin d’avoir leur part de ce qui resterait.
Il n’avait nulle envie de rencontrer d’autres membres de la Guilde. Fett était sûr d’une chose : l’action avait plus de poids que les mots. Les mots pouvaient tuer, alors que l’action protégeait. Pour l’instant, il voulait simplement retourner à bord de l’Esclave I et s’y enfermer sous la protection des systèmes de sécurité. Puis il pourrait se reposer, satisfait de sa journée de travail.
La présence de toutes ces créatures pensantes condamnées faisait frissonner Boba Fett, comme s’il avait eu la prémonition de sa propre fin. Toutefois, quelque chose lui soufflait qu’il ne mourrait pas ici, ni maintenant.
Il avait hâte de retourner dans son vaisseau, où il serait isolé de toute autre créature, morte ou vivante…
Voilà de quoi il avait besoin. Fermant la porte derrière lui, il quitta la pièce et sortit dans le couloir. À la lueur vacillante des torches murales, il se dirigea vers la sortie. Le tunnel semblait interminable, et le poids du roc, au-dessus de sa tête, lui donnait l’impression d’être dans une tombe…